Pourquoi sommes-nous aussi mauvais?

À Montréal, nos équipes professionnelles sportives sont nulles, exécrables, minables, pitoyables et il ne semble pas y avoir réellement de lumière au bout du tunnel. Sportivement, des erreurs ont été commises et ont été identifiées. De plus, les dirigeants de ces équipes ont tenté, sans succès, de les régler. Ces équipes ont maintes fois remplacé le personnel d’entraineurs, mais malgré quelques soubresauts, la médiocrité persiste. Il est à se demander si le problème dépasse le cadre sportif, s’il serait plutôt le reflet d’un mal plus profond dans notre société.

Car lorsqu’on parle de sport, on parle de compétition, de dépassement de soi, de leadership, de talents, de créativité et d’énergie. Pouvons-nous dire que ces éléments sont présents au Québec? Du moins, sont-ils présents en nombre suffisant dans les lieux de décisions? Le manque de résultats au niveau de ces équipes sportives démontrerait-il que, parallèlement, nous souffrions d’une médiocrité globale, au niveau institutionnel, économique ainsi que politique? Sommes-nous englués dans de vieilles façons de faire, de concevoir nos organisations de telles sortes que même lorsqu’on veut les améliorer, nous sommes incapables d’accomplir de réels progrès?

Je ne pointe pas du doigt la structure de l’entreprise privée, ou l’idéologie néolibérale. Il serait trop facile, de prendre ce chemin et de se lancer dans une plaidoirie plus à gauche. Toutefois, on peut observer qu’une certaine façon de concevoir les organisations, plutôt traditionalistes, très rattachée à une certaine conception de l’entrepreneuriat est solidement enracinée au Québec. Si ces dernières peuvent être encore adéquates pour une PME, il n’en est guère pour une institution sociale d’importance comme une équipe professionnelle de grande envergure. Vous pourriez mettre les meilleurs éléments à des postes clés dans chacune de ces équipes, elles devraient continuer à échouer, car leurs structures décisionnelles sont inadéquates.

Une affaire de famille

Malgré tous les millions qui y transitent, les équipes sportives montréalaises sont des entreprises familiales.  Ce lien personnel avec l’entreprise pourrait apparaitre comme étant un avantage, mais ces dernières années, les liens quasi filiaux entre certains dirigeants et leurs propriétaires ont retardé des décisions pouvant améliorer ces équipes. Comme dans une famille, on préfère l’absence de conflit et la cohésion sociale au détriment de l’efficacité. L’entêtement des propriétaires de conserver une trop grande part décisionnelle dans leurs organisations, a empêché ces dernières de recourir à l’aide dont elles avaient besoin.

Mauvaise conception du leadership

Il ne faut pas prendre de la passion et de l’engagement pour du leadership. Certains vont jusqu’à prendre le dévouement sans esprit critique comme étant une «bonne attitude». Pour progresser, il faut savoir prendre du recul, comprendre les fondements du problème et être prêt à le concevoir différemment. 

Une personne ayant vraiment à coeur le succès de l’équipe (ou de toute autre organisation) réfléchit, conteste les façons de faire, veut améliorer la situation au lieu d’être prise dans le statu quo. Si cette critique doit se faire dans le respect, les employés doivent se sentir à l’aise d’apporter leur point de vue. 

Ce que nos équipes recherchent ce n’est pas du dévouement, mais du dévouement qui ne remet d’aucune façon en question l’autorité du propriétaire et de ses subalternes. 

Une institution sociale

Le sport c’est important. Ce n’est pas qu’un simple divertissement où des millionnaires font faire des profits à des milliardaires sur le dos des masses incultes. Posséder une équipe professionnelle revient avec une responsabilité morale, celle de s’impliquer dans sa communauté, et en plus de tenter d’améliorer la vie des individus qui la composent. Et quelques fois (pas toujours) pour cela, la victoire doit avoir la priorité sur la rentabilité.

Montréal est un centre culturel et universitaire de première importance dans le monde, de plus les talents en haute technologie se démarquent, des jeux vidéos à l’intelligence artificielle, elle devient une référence, une ville pleinement ancrée dans le XXIe siècle. Pourtant, nos propriétaires même s’ils ont à coeur le succès de leur équipe, sont encore pris dans le XXe, où la structure hautement hiérarchisée ne peut qu’amener d’innovation que «par le haut», où les informations sont cachées en plus d’être menée par des leurs sautes d’humeur plutôt que par un réel plan à long terme. 

Dans ce monde, d’hypercommunication et de communauté virtuelle ne pas tenir compte de l’opinion de ces partisans ne peut que tuer sa franchise à petit feu. Si les décisions sportives doivent avoir le dessus sur le marketing, il faut tout de même tenir compte de l’évaluation de ses effectifs par l’ensemble de la communauté. Si les entraineurs et les directeurs généraux doivent avoir le dernier mot, s’entourer de vieux amis et de sycophantes, n’ayant comme expérience d’avoir partagé le même vestiaire à un moment ou un autre de leurs carrières n’est pas un gage de succès. Les statistiques ne proviennent non seulement des performances des joueurs, mais peuvent provenir également des partisans qui peuvent souvent avoir une opinion plus que les équipes techniques. Il y a dans le partage d’information, des innovations à découvrir et de nouvelles méthodes de dépistage à appliquer. 

Le plus important, toutefois, serait d’arrêter de prendre le partisan comme un simple consommateur, vide de toute capacité d’analyse. Les échanges simultanés maintenant possibles grâce aux réseaux sociaux font d’eux des participants actifs au match. Il n’y a plus le filtre du journaliste, devant souvent se censurer pour continuer à avoir accès à l’équipe qu’il suit. Lorsqu’un dirigeant s’enferme dans un cadre d’analyse erroné, il ne déçoit plus, il enrage les partisans. Et malheureusement, pour punir l’équipe certains décident de ne plus dépenser ses dollars loisirs pour assister aux matchs locaux.

Mesurer adéquatement le succès

Prenez n’importe qu’elle entreprise, elle se fixera des objectifs et tentera de les atteindre. Certaines seront couronnées de succès, d’autres failliront à la tâche. Toutefois, notre système étant ce qu’il est, il est rare que les grandes entreprises paient réellement pour leurs échecs. Souvent, celles-ci obtiendront une aide gouvernementale qui ne demandera rien en retour, laissant en place des dirigeants incompétents qui continueront à prendre de mauvaises décisions. De leur côté, les gouvernements s’en lavent les mains, prétextant qu’ils viennent de sauver des milliers d’emplois. Et lorsque ce n’est pas les gouvernements, ce sont les fonds de solidarité ou les institutions financières qui viennent sauver les entreprises fautives qui ne se remettront rarement en question. 

Alors, prenez des gens qui baignent dans ce type «d’environnement décisionnel» où l’imputabilité n’existe pratiquement pas. Qu’arrive-t-il lorsque les défaites s’accumulent à une vitesse fulgurante et où l’espoir est pratiquement disparu? Ils trouvent des excuses, comme l’attitude, les blessures ou encore que les autres équipes ont eu l’audace de chercher à s’améliorer… quelle pratique déloyale! 

La beauté du sport réside également dans le fait qu’il est pratiquement impossible de cacher ses erreurs, le talent parle autant que l’incompétence. C’est un domaine où l’humilité n’est pas qu’un avantage, mais également une nécessité. Malheureusement, s’asseoir sur ses lauriers et quelques exploits passés n’est pas suffisant.

Une des pistes de solutions de nos dirigeants sportifs serait peut-être de sortir du cadre de l’entreprise privée où les décideurs préfèrent les conférences de motivation vides sur le «leadership» aux données réelles et aux innovations dans le domaine du management. Si vous me trouvez trop critique, un rapport de la firme Deloitte met en lumière de graves lacunes chez les employeurs canadiens. Celles qui montrent la voie tendent plutôt à faire participer les employés dans le processus décisionnel, à s’impliquer socialement, à offrir de meilleures conditions de travail et possède une réelle volonté d’intégrer les nouvelles technologies. 

Nos équipes n’ont pas tout faux, mais certains éléments manquent toujours. Pour y remédier, il faudrait premièrement que les propriétaires prennent du recul et laissent leur place à quelqu’un ayant de véritables compétences pour diriger une telle entreprise. De plus, il faudrait recruter les administrateurs ailleurs que chez les anciens joueurs ou les écoles de gestions. Dans certaines circonstances, leur apport peut être utile, mais il y a d’autres avenues qui s’offrent à ces équipes. Une diversité dans les postes décisionnels ne peut qu’emmener de nouveaux points de vue, de nouvelles solutions à des problèmes qui ne font que s’aggraver. 

Des équipes vraiment montréalaises

Sans tomber dans le jovialisme délirant de l’acceptation à outrance, du politiquement correct et de la société arc-en-ciel que peut entrainer le discours du Multiculturalisme; il faut se rendre compte que le monde change. Les vieilles méthodes fonctionnaient peut-être lors des dernières décennies, mais il faut comprendre que les résultats ne sont plus au rendez-vous. De plus, changer les décideurs par d’autres, quasiment identiques, devraient apporter le même genre de résultats, et perpétuer les insuccès généralisés. Nous méritons mieux.

Montréal n’est-elle pas une ville célébrée pour son ouverture d’esprit, pour son accueil ainsi que pour sa grande diversité? Alors, pourquoi ne pas avoir des équipes qui reflètent réellement la ville qu’elle est censée représenter ? Cela ne doit pas être uniquement visible sur le terrain, surtout lorsque tous dans l’équipe doivent répondre au fils de quelqu’un… Mais n’est-ce pas là le reflet de notre pays, de nos institutions politiques?

À Montréal, le sport est souvent le seul pont entre les deux solitudes, entre les différentes communautés culturelles, entre les riches et les pauvres. Dans un Québec de plus en plus déchiré  sur les questions identitaires, il serait bien que ces liens se renforcent, que nous aillons quelques choses à célébrer. Et ces choses ne pourront survenir en se refermant sur nous-mêmes et en s’obstinant à perpétuer des habitudes tombées en désuétudes.