L’Impact : changement d’identité

Les personnes nées à l’an 2000 ont 18 ans cette année.  Ces enfants qui deviennent des adultes n’ont aucune attache dans le dernier millénaire ou dans le vingtième siècle. Ceux étant né en 1993, l’année de la dernière conquête de la Stanley du Canadien, auront 25 ans, le même âge que l’Impact de Montréal.

Pour ces jeunes, le club de soccer montréalais est aussi vieux que le Canadien, les Alouettes, l’Université McGill, l’Hôtel de Ville ou le Stade olympique.  Pour eux, les affiches des magasins ont toujours été en français, le Plateau toujours habité par des Français qui paient leur loyer trop cher, les restaurants toujours reconnus comme extraordinaires, la scène musicale comme étant une des plus cool au monde et que les cônes oranges sont une normalité dans notre paysage urbain.

Il en a fait du chemin l’Impact depuis un quart de siècle, depuis le Centre Claude-Robillard, les années de misère… On a vu un miracle en Ligue des Champions, l’arrivée de Drogba, une demi-finale de l’Est devant plus de 61 000 spectateurs; et puis l’année dernière, un retour forcé à la réalité…

Et puis 2018, une nouvelle ère avec l’arrivée de Rémi Garde. Pour le club, il ne s’agit pas uniquement de l’embauche d’un entraîneur de haut niveau, mais également de son arrivée à maturité.  Pour les dirigeants, cela signifie deux choses : premièrement, que l’équipe n’est plus le jouet de passionnés dévoués à la cause, mais aussi de l’acceptation du véritable rôle sportif et social de l’Impact tant au sein de la ligue que de la nation québécoise.

Excellence comme nécessité

Même si cela me rend nauséeux de l’écrire, nous devons remercier le Toronto FC d’en être arrivé là. Il s’agit non seulement de la meilleure rivalité du sport montréalais (même de la MLS), mais également d’une cible que le club doit non seulement atteindre, mais également dépasser.  La grande différence entre la grande majorité des rivalités sportives est que celle entre Montréal et Toronto est également une bataille de styles, de philosophies et surtout d’identités.

Si le Toronto FC domine, c’est avant tout grâce à l’argent. Pendant neuf ans, le TFC a essayé d’avoir une équipe sympathique avec des joueurs locaux et ils étaient exécrables. Le conglomérat de millionnaires qui possède le club a décidé de jeter l’argent par les fenêtres, afin d’avoir une équipe pouvant accéder aux grands honneurs. Il ne faut pas croire pour autant que Toronto a « acheté un championnat ».  Il fallut trois ans pour mettre cette formidable machine de soccer à point, jusqu’à l’année dernière où le club a remporté le Championnat Canadien, la saison régulière et la MLS Cup. Jamais dans la ligue on n’avait vu une réussite aussi fracassante.

Même si l’équipe a toujours été un peu à part des autres, cette année, l’Impact a décidé d’assumer ses différences et d’en faire des avantages.  Comme les grands chefs montréalais, pour se démarquer, il faudra se tourner vers les produits du terroir.  Contrairement au hockey, il n’y a pas de tradition au soccer; il faudra donc tout inventer, accompagné d’une aide extérieure pour se former une identité qui nous est propre.  Et une tradition d’excellence peut se construire assez rapidement, regarder comment le Football universitaire québécois, autrefois moribond, est devenu le meilleur système au Canada.

Cette année l’Impact a arrêté de vouloir faire plaisir à la ligue et au système américain. Pour le meilleur et pour le pire, le Bleu-Blanc-Noir fera à sa façon, avec ses joueurs. On l’a d’ailleurs démontré lors du dernier repêchage, où l’équipe technique a préféré échanger ses choix pour le l’argent, car elle faisait plus confiance aux produits de l’Académie que ceux de la NCAA. Cela n’envoie pas uniquement un message aux jeunes de l’Académie, mais tous ceux qui s’exercent, en ce moment sur les terrains du Québec. Plus précisément que le club va leur laisser une place, qu’ils pourront faire partie d’un projet où ils auront un rôle majeur à jouer. L’impact a compris une évidence que les autres équipes montréalaises ont oublié : que les produits locaux ne servent pas uniquement à vendre des billets , mais qu’ils peuvent contribuer aux succès de l’équipe.

L’Impact possède un avantage avec son Académie, celle d’avoir un bassin intéressant de joueurs locaux et de ne pas en échapper ainsi au profit d’autres équipes.  Elle pourra devenir alors le véritable reflet du talent québécois, talent qui possédera déjà une loyauté au club qui l’a formé et dont les supporteurs connaîtront déjà le potentiel.  Le parcours sera sûrement long et difficile, mais cela paraît être la meilleure direction à suivre.

Un Montréal renouvelé 

Imaginez tous ces jeunes pour qui l’Impact est aussi vieux que le mont Royal ou le Smoked Meat de chez Schwartz’s, pour qui son allégeance va-t-elle pencher? Sûrement pour le club qui reflète le plus son identité, pour qui des gens lui ressemblant participent au succès du groupe. Le Québec d’il y a 25 ans est déjà vieux, enfermé dans un autre siècle, un autre millénaire… Il est temps de regarder vers l’avant, de se reconstruire, de comprendre ce qui nous distingue, ce qui nous rend uniques, ce qui peut faire de nous les meilleurs.

La population montréalaise change non seulement au niveau démographique, mais également à celui des valeurs et des habitudes de vie.  La dernière élection l’a clairement démontré, où les événements à grand déploiement et les promesses du retour des Expos n’ont pas recueilli l’adhésion escomptée.  Les électeurs ont fait fi des souhaits de l’établissement pour élire une administration proposant des idées plus près des intérêts des citoyens.

Pour bon nombre de Québécois, le retour des Expos fait rêver, mais pour les plus jeunes et les nouveaux arrivants les Expos c’est déjà de l’histoire ancienne, c’est un vestige du passé, de la nostalgie. Je ne suis pas contre le retour du baseball majeur dans la métropole, mais mettre autant l’emphase sur ce projet démontrait une déconnexion avec l’électorat. Cela indique également que Montréal se distance du reste du Québec, du moins qu’il essaie de l’emmener dans une autre direction. Pas étonnant que la nouvelle mairesse soit une grande fan de l’Impact, elle est le reflet de nouvelle cohorte de Montréalais qui ne rêvent plus d’une maison en banlieue, d’un beau gazon vert et d’une piscine hors terre.

Cela explique peut-être la réticence de certains qui voient encore le soccer comme un « sport d’immigrants ».  L’Impact s’est développé parallèlement à cette nouvelle génération de Montréalais après le référendum de 1995, loin des divisions traditionnelles, parlant français en plus d’une ou plusieurs autres langues, habitué à la différence, vivant l’effervescence et la solitude de la grande ville. Cette grande ville toutefois plus habituée aux chocs des idées qu’à l’unanimisme de petit village, si différente du reste du Québec, encore plus du reste du Canada, Montréal est devenue une autre façon de représenter le Québec.  Pendant qu’ailleurs on rejette, ici on accepte… À Montréal, l’avenir fait moins peur.

Accepter le changement

Pour beaucoup, accepter l’Impact c’est accepter beaucoup trop de choses pouvant leur déplaire. Accepter que les plus jeunes connaissent plus ce sport qu’eux, accepter une nouvelle culture sportive où se retrouvent des supporteurs et des joueurs de tous horizons.  Soutenir l’Impact, c’est également accepter que le Québec change, et pour certains, il s’agit d’un choix trop difficile à faire.

Combien de championnats aura l’Impact dans 25 ans? Nul ne le sait, mais l’équipe pourrait bien devenir le véritable symbole d’un peuple en pleine quête identitaire. Si le Bleu-Blanc-Noir peut montrer la voie aux autres équipes sportives montréalaises, cela ne peut être que bénéfique à notre société. Car depuis trop longtemps les vieilles façons ne fonctionnent plus et il est grand temps que l’on retrouve le chemin de la victoire… dans le sport comme ailleurs.